Homicide routier : un mot enfin à la hauteur du drame


Rédigé par Grégoire Sévrin le Mercredi 2 Juillet 2025 à 23:56 - 0 Commentaires

Il aura fallu des larmes, des pétitions, des enterrements absurdes, et quelques noms médiatiques pour que la République ose enfin dire les mots justes.


Le 1er juillet 2025, le Parlement a adopté une loi qui crée officiellement le délit d’homicide routier. Une victoire pour les familles, un symbole fort… et une occasion manquée ?

Depuis des années, les proches de victimes répétaient inlassablement cette question : comment peut-on parler d’« homicide involontaire» quand un conducteur tue en conduisant ivre, drogué, à 150 sur une nationale, le téléphone à la main ? Était-ce vraiment de l’inattention ? Non. C’était un choix. Un acte. Un risque assumé. Il fallait donc un mot pour cela. Il est enfin là.

Ce que cette loi change fondamentalement, ce n’est pas la peine maximale (elle reste la même, 7 à 10 ans selon les cas), mais le regard de la société.

Car nommer, c’est reconnaître. On ne tue plus par maladresse, on tue parce qu’on a méprisé la vie des autres, en privilégiant son confort, sa vitesse, sa drogue. En refusant de voir la route comme un espace partagé. Cette prise de conscience juridique est un pas historique.

Et ce pas n’est pas arrivé tout seul.

Derrière cette loi, il y a des noms. D’abord celui du chef étoilé Yannick Alléno, dont le fils Antoine a été tué en 2022 par un chauffard multirécidiviste. De ce deuil est née une détermination féroce : faire évoluer les mots et la justice. À ses côtés, l’avocat Francis Szpiner a porté la voix des familles dans les prétoires comme dans les médias, appelant à « ne plus masquer l’horreur derrière le mot involontaire ».

Il y a aussi des élus. Éric Pauget, député LR, a porté la proposition de loi jusqu’à son adoption, main dans la main avec Anne Brugnera, ex-députée Renaissance, preuve qu’au-delà des clivages, certaines causes fédèrent. Dans l’hémicycle comme dans la société, ils ont su écouter l’indignation légitime, transformer la colère en réforme.

Et il y a les pionniers. Jehanne Collard, avocate des victimes et survivante elle-même d’un accident, dénonçait depuis plus de 30 ans l’impunité routière. Geneviève Jurgensen, fondatrice de la Ligue contre la violence routière, a donné un cadre collectif à ce combat. Leurs voix n’ont jamais faibli.

Ce texte est donc l’aboutissement d’un long parcours : fait de deuils, de colères, de combats judiciaires, et d’obstination citoyenne. Mais il ne suffira pas. Il faudra que la justice s’en empare avec fermeté, que les juges osent appliquer des peines à la hauteur de la gravité. Il faudra que les contrôles se renforcent, que les condamnés n’échappent plus à leur responsabilité. Il faudra peut-être même aller plus loin, un jour, en osant parler de crime routier.

Car la route tue encore plus que bien des fléaux. Elle fauche, chaque jour, dans l’indifférence. Parce que ce n’est pas spectaculaire. Parce qu’on s’y est habitué.

Mais derrière chaque nom sur une stèle au bord d’une nationale, il y a un enfant, un parent, une vie. Et trop souvent, un coupable libre.

Alors oui, appelons cela un homicide routier. Mais n’en faisons pas un simple mot de plus dans le code pénal. Faisons-en un avertissement. Une mémoire. Une promesse.


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