Trets : Des caméras illégales pour traquer les dépôts sauvages, une polémique grandissante


Rédigé par Ghislain Robert le Mercredi 4 Juin 2025 à 18:57 - 8 Commentaires

Nos confrères de Marsactu ont mené une enquête révélant que la commune de Trets a récemment installé un système de vidéosurveillance ultramoderne afin de lutter efficacement contre les dépôts sauvages de déchets. Pourtant, cette initiative soulève de sérieuses questions juridiques et éthiques, notamment concernant l’utilisation d'algorithmes pour surveiller et sanctionner les contrevenants.


Des caméras de surveillance dernière génération

Les dépôts sauvages de déchets représentent un problème récurrent pour de nombreuses communes, en particulier dans les zones rurales et périphériques. Pascal Chauvin, le maire de Trets, a souvent communiqué sur ce fléau qui a pris de l'ampleur sur sa commune. Ces incivilités nuisent à l'environnement, polluent les terres agricoles, dégradent les espaces naturels et nuisent à la qualité de vie des Tretsois, déplore le maire.
 
Pour lutter contre ce fléau, certaines villes, comme Trets, ont opté pour la vidéosurveillance automatisée. Le maire de Trets, Pascal Chauvin, a ainsi choisi de renforcer la lutte contre les dépôts sauvages en installant des caméras dites “intelligentes”, avec l'aide de la start-up Vizzia, spécialisée dans la détection automatisée des incivilités.
 
Le système mis en place par la commune de Trets comprend des caméras à deux optiques, équipées d'un logiciel capable de détecter les dépôts de déchets, ainsi que les véhicules, plaques d'immatriculation et personnes présentes dans la zone. Ces caméras sont capables de filmer les zones sensibles, et les images sont ensuite analysées pour détecter toute infraction. En cas de délit, une procédure administrative est automatiquement déclenchée, avec l'envoi d’amendes.
 
Selon la société Vizzia, ce dispositif permettrait de générer un retour sur investissement important, estimant que chaque caméra rapporterait jusqu’à 24 000 euros par mois.
 
Cependant, d’apres l’équete de Marsactu l’implémentation de ce dispositif n’est pas sans controverse. En effet, l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour détecter des délits dans l’espace public soulève des interrogations juridiques majeures.
 
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a clairement indiqué que l’utilisation d'algorithmes pour détecter les dépôts sauvages est interdite par la loi, sauf si un texte législatif spécifique le permet. Or, aucun cadre légal ne permet actuellement l’utilisation de l’IA pour cette finalité.

Une légalité incertaine

La position de la CNIL est formelle : la loi du 19 mai 2023 exclut l’usage de l’intelligence artificielle pour détecter les dépôts sauvages. Pourtant, Vizzia a affirmé, par le biais de son cofondateur Alexandre Leboucher, que leur technologie ne repose pas sur l’intelligence artificielle, mais sur une méthode d’identification “sans erreur” des déchets grâce à un appareil photographique breveté. Cette déclaration semble toutefois en contradiction avec le contenu du brevet déposé par la société, qui mentionne explicitement l'utilisation de “l'apprentissage machine” (machine learning) pour améliorer la détection des comportements humains et des plaques d’immatriculation.
 
La municipalité de Trets semble avoir opté pour ce dispositif sans consulter la CNIL, ni avoir soumis le projet à une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD), un document pourtant obligatoire.
 
Cette absence de transparence a conduit l’élue d’opposition, Stéphanie Fayolle-Sanna, à demander des explications et à saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) pour obtenir des informations sur le contrat signé avec Vizzia et l’étude d'impact de la surveillance algorithmique.

Une surveillance de plus en plus déployée sans cadre légal

Ce type de surveillance algorithmique soulève de nombreuses questions éthiques et juridiques. Si de nombreuses entreprises comme Vizzia proposent des technologies similaires, ces dispositifs sont largement déployés sans cadre législatif clair. Les entreprises de vidéosurveillance algorithmique prétendent que leurs outils permettent de détecter des comportements illégaux en temps réel, mais la question demeure : ces technologies respectent-elles la vie privée des citoyens et les principes de proportionnalité en matière de surveillance publique ?
 
Le cas de Trets s'inscrit dans une tendance inquiétante où la surveillance algorithmique semble progresser sans contrôle ni régulation adéquate. Les autorités publiques, comme le ministère de la Transition écologique, reconnaissent les risques liés à cette surveillance mais se montrent encore hésitantes sur la manière de légiférer sur ces technologies.

Un débat à l’échelle locale et nationale

À Trets, l’opposition par le biais de Stéphanie Fayolle-Sanna soulève donc la question de la légalité du dispositif, et d’autres communes pourraient être tentées de suivre le même modèle. Il appartient désormais aux autorités compétentes, telles que la CNIL, de clarifier cette zone grise juridique, afin de protéger les droits des citoyens tout en permettant aux communes de lutter efficacement contre les dépôts sauvages, et il faut reconnaître que c'est un vrai casse-tête journalier pour les élus et les agents de la ville de voir la qualité de vie se dégrader à cause d'incivilités récurrentes.
 
Le sujet devrait être prochainement discuté lors d’un conseil municipal, où la légalité et la moralité de l’usage de ces technologies seront mises en lumière. Le débat ne se limite pas à Trets, mais reflète une tendance grandissante dans toute la France, où les collectivités sont confrontées à la tentation d’utiliser des outils de surveillance automatisés pour répondre à des problématiques locales.

Pour Trets ce n'est pas la première fois qu'on fleurette avec les limites de la loi.

Lors du conseil municipal du début du mois de juin 2022, une question importante concernant la légalité du fonctionnement de la fourrière automobile de la ville. L’élue d'opposition Stéphanie Fayolle-Sanna avait déjà soulevé cette problématique, soulignant que le service avait opéré pendant un an sans l'agrément préalable de la préfecture, une situation qui avait fait débat au sein de la municipalité. Au cœur de la discussion, un échange tendu s’est produit entre les élus.
Le 1er adjoint Georges Luvera a défendu la position de la majorité en précisant : « La préfecture nous a permis de commencer à travailler car il y a des délais très longs pour obtenir cet agrément. On est obligé de travailler, vous cherchez des histoires où il n'y en a pas. »
 
Une réponse qui, bien que défensive, n’a pas manqué de faire réagir l'opposition. Il a insisté sur le fait que la question de la légalité n’était pas un problème à ses yeux, arguant que "nous, on est dans la pratique", et que les démarches administratives étaient simplement en attente.
 
Cependant, cette déclaration n’a pas rassuré les élus d'opposition. Ils ont maintenu leurs critiques, soulignant que l'absence d'agrément préfectoral pouvait potentiellement poser des questions sur la régularité du service.
 
L’argument principal était que les règles en matière de sécurité et de conformité ne devraient pas être mises de côté, même en raison de délais administratifs.
 
L'échange a révélé un fossé entre les positions de la majorité, qui met l'accent sur les impératifs pratiques, et celles de l’opposition, qui insiste sur le respect strict des procédures légales.
 
Cette controverse montre bien l'importance du contrôle démocratique et de la transparence dans la gestion municipale, d'autant plus quand des questions de sécurité et de légalité sont en jeu.
 
La situation semblée avoir trouvé une issue provisoire, mais la question reste ouverte : quel impact sur la gestion de la ville à long terme si de telles démarches administratives sont mises de côté au nom de l'urgence ? Et comment concilier efficacité administrative et respect des règles pour garantir un service public conforme ?


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