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Enquête : Quand l’Aide sociale à l’enfance faillit à sa mission


Rédigé par Olivier ZOPPARDO le Dimanche 4 Mai 2025 à 21:30 Commentaires

Ils étaient censés être protégés. Pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, ces adolescents, souvent marqués par des parcours familiaux douloureux, se retrouvent pourtant, dans certains cas, livrés à eux-mêmes, et pire encore : livrés à des réseaux de prostitution. Une réalité choquante que dénoncent aujourd’hui des travailleurs sociaux, des magistrats et des associations.


« On savait, mais on ne savait pas quoi faire »

Illustration - DR
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Les foyers appelés MECS (Maisons d'Enfants à Caractère Social) fin 90, on les appelait encore les foyers de la DDASS et pour les enfants en situation de délinquance, on appelait cela les maisons de correction, devenues la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse). Les MECS sont gérées par les départements le plus souvent confiées à des associations conventionnées dans le cadre d'une DSP (Délégation de service public) et la PJJ par le ministère de la Justice.

La mission première de la MECS est une mission de protection de l'enfant en difficulté dans son milieu familial du fait d'une situation de danger ou de risque de danger évaluée et reconnue par les autorités compétentes.

Une éducatrice d’une MECS du pays d’Aix, sous couvert d’anonymat, nous confie son désarroi : « J’ai vu une gamine de 14 ans rentrer avec un iPhone dernier cri, des vêtements de luxe, sans aucune explication. On a fait des signalements. Rien n’a bougé. »

Comme elle, plusieurs professionnels interrogés parlent d’un sentiment d’impuissance face à des mineures qui, bien souvent, tombent sous la coupe de jeunes recruteurs, eux-mêmes placés ou en contact avec le foyer. La prostitution s’installe alors presque « à la vue de tous », comme le révèle également l’enquête de France Bleu publiée le 2 mai 2025.

Des réseaux infiltrés dans les foyers

Le mode opératoire est souvent le même. Les proxénètes approchent les jeunes filles dès leur arrivée dans les structures. Parfois, ce sont d’autres mineurs, déjà enrôlés, qui les recrutent. Selon plusieurs sources judiciaires, certains réseaux n’hésitent pas à installer une forme de surveillance interne dans les foyers : manipulations, pressions psychologiques, voire menaces.
 
Dans une affaire récemment jugée à Montauban, plusieurs adolescentes issues de l’ASE ont été retrouvées impliquées dans un réseau bien structuré, avec des déplacements organisés dans différentes villes pour « satisfaire la demande » de clients adultes. Le procureur a évoqué un « système de traite d’êtres humains sous nos yeux ».

Des départements sur la sellette (l'Essonne, les Yvelines ou encore les Bouches-du-Rhône)

L’affaire a mis le feu aux poudres. Des associations comme Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) dénoncent un laxisme systémique des services de protection. Dans un rapport accablant, l’association estime que les départements chargés du pilotage de l’ASE « ferment les yeux » ou réagissent trop tard.
 
Les présidents des conseils départementaux, eux, se défendent : « Nous faisons face à un public extrêmement vulnérable, avec des moyens humains et financiers trop limités », a déclaré l’un d’eux au micro de France Bleu.
 
Mais pour les familles d’accueil et éducateurs sur le terrain, ces explications ne suffisent plus. « À quoi bon faire des signalements si personne ne nous écoute ? », lâche une un éducatrice d’une MECS à Aix en Provence.

Des signaux d’alerte ignorés

Sur notre département, plusieurs cas similaires ont été recensés ces trois dernières années, sans qu’aucune réponse systémique ne soit mise en place. Des rapports internes, que nous avons pu consulter, font état de « comportements à risque », « absences répétées », « signes d’emprise », mais peu d’enquêtes approfondies sont menées. Et les liens avec la prostitution sont rarement mentionnés dans les documents officiels.
 
« C’est une forme de tabou, analyse un éducateur de rue. Admettre que la prostitution existe dans les structures censées protéger ces jeunes, c’est admettre que le système a échoué. »

"C’est absolument insensé ! Un système complètement à l’envers : certains jeunes confiés à la protection de l’enfance, faute de place, se retrouvent placés dans des hôtels. Où est donc le réel souci de contenir et protéger ces jeunes, garçons comme filles ? C’est tout simplement inacceptable !" précise un éducateur.

Des réponses encore trop timides

Certains départements commencent à réagir. En Moselle, une convention a été signée entre le Conseil départemental et la Cour d’appel de Metz pour améliorer le signalement des cas et former les professionnels à repérer les signaux faibles.
 
D’autres initiatives, comme le programme PARE, visent à créer un réseau d’acteurs spécialisés autour de la lutte contre la prostitution des mineurs.
 
Mais ces efforts restent disparates, non coordonnés à l’échelle nationale. Et les victimes, elles, continuent de sombrer dans l’indifférence.

Témoignage d’une ancienne placée : « Ils n’ont rien vu, ou ils n’ont rien voulu voir »

M.F, aujourd’hui âgée de 20 ans, a été placée à l’ASE de 12 à 17 ans. Elle raconte comment, dès 14 ans, elle a été « repérée » sur les réseaux sociaux. « Il savait tout de moi. Il me disait que j’étais belle, que je méritais mieux. Puis il m’a proposé de l’argent pour des ‘rencontres’. Le foyer ? Ils ont vu mes bleus, mes absences, mais personne n’a posé de questions. »
 
Aujourd’hui suivie par une association de réinsertion, MF tente de reconstruire sa vie. Elle espère que son témoignage servira à faire bouger les lignes.

Conclusion : un système à repenser d’urgence

L’enquête que nous avons menée met en lumière une réalité glaçante : l’ASE, censée être un refuge, devient parfois le théâtre silencieux de violences extrêmes. Si des initiatives existent, elles peinent encore à enrayer un phénomène qui gangrène le système de protection de l’enfance.
 
Les témoignages recueillis, les faits relayés par la presse nationale, et les signaux ignorés doivent aujourd’hui servir d’électrochoc. Car derrière chaque dossier, il y a un visage, une histoire, et une enfance volée.

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