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Enquête : Métropole Aix-Marseille-Provence, un géant urbain aux marges rurales oubliées


Rédigé par Ghislain Robert le Samedi 24 Mai 2025 à 14:04 - 0 Commentaires

Elle devait incarner l'avenir de la coopération territoriale, le symbole d’un développement équilibré entre villes et campagnes. Mais près de dix ans après sa création, la métropole Aix-Marseille-Provence ressemble davantage à un colosse bureaucratique vacillant qu’à un moteur d’égalité.


Une métropole tentaculaire, mais déséquilibrée

Tandis que Marseille accapare l’attention médiatique et les milliards d’euros, les zones rurales – pourtant nombreuses et vitales tirent la sonnette d’alarme. Routes dégradées, services publics en recul, décisions prises à plusieurs dizaines de kilomètres : à l’ombre du palais du Pharo, les oubliés de la métropole grondent. Derrière les discours d’unité, une fracture territoriale béante se dessine.

Enquête sur un fiasco institutionnel où les campagnes, encore une fois, sont les grandes sacrifiées. Créée en 2016, la métropole Aix-Marseille-Provence est la plus vaste de France, s'étendant sur 3 149 km² et regroupant 92 communes, de Marseille à Salon-de-Provence, en passant par Aix-en-Provence et Trets. Elle abrite environ 1,9 million d'habitants.

Cependant, cette entité administrative peine à masquer les disparités territoriales. Les zones urbaines concentrent les investissements, tandis que les communes rurales et périurbaines, souvent éloignées des centres de décision, se sentent marginalisées.

Les zones rurales : les grandes oubliées

Les communes rurales, notamment celles de l'ouest et de l’est du département, expriment leur mécontentement face à une métropole qu'elles jugent trop centrée sur les grandes villes.

En 2017, 29 communes se sont regroupées en Pôle d'Équilibre Territorial et Rural (PETR) pour préserver leur autonomie et éviter une intégration forcée à la métropole Aix-Marseille-Provence.

Hervé Chérubini, maire de Saint-Rémy-de-Provence, souligne que l'intégration à la métropole coûterait 9 millions d'euros par an à la communauté de la Vallée des Baux-Alpilles, sans garantie de services équivalents.
 

Une périurbanisation en quête de services

La pression foncière pousse de nombreux ménages à s'installer en périphérie, dans des communes rurales ou périurbaines, pour accéder à la propriété et bénéficier d'un cadre de vie plus paisible. Cependant, ces zones souffrent d'un manque d'infrastructures et de services publics adaptés.

Selon l'INSEE, près de six actifs sur dix s'installant dans ces communes limitrophes continuent de travailler sur Marseille ou Aix-en-Provence, traduisant une migration résidentielle plus que professionnelle.

Des politiques publiques centrées sur l'urbain

Les grands projets métropolitains, tels que "Marseille en grand", visent principalement à revitaliser les centres urbains. La Cour des comptes a d'ailleurs critiqué ce plan pour son manque de coordination et de gouvernance globale, soulignant que seulement 1,31 % des cinq milliards d'euros annoncés avaient été dépensés fin 2023.

Pendant ce temps, les zones rurales attendent des initiatives concrètes pour améliorer leur quotidien, notamment en matière de transport, de santé et d'éducation.

Vers une métropole plus inclusive ?

Pour répondre aux défis de cohésion territoriale, la métropole doit repenser son modèle de gouvernance. Cela implique une meilleure prise en compte des spécificités rurales, une répartition équitable des investissements et une collaboration renforcée avec les communes périphériques.

Des initiatives telles que la préservation des terres agricoles et la mobilisation de foncier public pour l'installation d'agriculteurs sont des pas dans la bonne direction.

Des maires membres de la métropole… mais aux abonnés absents

Ironie de la situation : nombre de maires de communes rurales ou périurbaines siègent eux-mêmes au conseil métropolitain. Certains occupent même des postes de vice-présidents, censés leur offrir un levier d’action sur les grandes orientations. Pourtant, sur le terrain, leur voix se fait étrangement discrète.

« On ne les entend pas, ou si peu », déplore un élu de l’opposition de Aix-en-Provence. « Ils sont tétanisés à l’idée de froisser Martine Vassal », présidente de la métropole, jugée autoritaire par plusieurs interlocuteurs. Cette frilosité, alimentée par les jeux d’alliances politiques et les pressions institutionnelles, contribue à l’immobilisme.

Alors que les territoires qu’ils représentent attendent un engagement clair pour les transports, la santé ou la sauvegarde de l’activité agricole, ces élus métropolitains donnent parfois le sentiment de privilégier leur carrière ou leur relation avec le centre de pouvoir marseillais au détriment de leur population.

Un silence qui dérange, et qui alimente encore un peu plus le ressentiment des habitants des zones oubliées de la métropole.

Sophie Joissains : une voix discordante au sein de la métropole

Parmi les rares élus à exprimer ouvertement leur mécontentement, Sophie Joissains, maire d'Aix-en-Provence, se distingue par ses critiques franches envers la gouvernance métropolitaine. Dès sa prise de fonction, elle a dénoncé une structure "trop vaste et hétéroclite", pointant le manque de marge de manœuvre des maires dans un système centralisé.

Dans une tribune publiée en novembre 2023, elle déplore que "les lois contradictoires s'empilent" et que "la création des métropoles a concentré un peu plus encore les pouvoirs", notamment dans celle d'Aix-Marseille-Provence.

Elle propose des réformes audacieuses, telles que l'interdiction du cumul des présidences de la métropole et du département, une situation qu'elle juge source de conflits d'intérêts.

En juillet 2022, elle interpelle la Première ministre Élisabeth Borne, suggérant la transformation de la métropole en entités territoriales distinctes, comme une "Métropole de la terre" et une "Métropole de la mer", pour mieux refléter les réalités locales.
Cette position tranchée, bien que minoritaire, met en lumière les tensions internes et les aspirations des communes rurales à une gouvernance plus équitable et respectueuse de leurs spécificités.

Les élus d'Aix-en-Provence dénoncent une métropole centralisatrice

Les critiques envers la métropole Aix-Marseille-Provence ne se limitent pas à Sophie Joissains. De nombreux élus du Pays d'Aix expriment leur mécontentement face à une gouvernance qu'ils jugent trop centralisée et éloignée des réalités locales.

En janvier 2022, plusieurs élus aixois, dont la maire d'Aix-en-Provence et son premier adjoint, ont adressé une lettre au président de la République, dénonçant une concertation "superficielle" concernant le projet de loi 3DS sur la décentralisation. Ils réclamaient notamment le maintien des allocations de compensation, essentielles au budget des communes, et la conservation de la compétence voirie au niveau communal.

Gérard Bramoullé, ex-premier adjoint au maire d'Aix-en-Provence, a également pointé du doigt la dette métropolitaine, estimée à 3 milliards d'euros, qu'il considère comme un fardeau pour les communes. Il critique les emprunts structurés contractés par la métropole, qualifiés de "toxiques", et estime que ces pratiques financières détournent des ressources qui pourraient être investies localement, avant son décès en décembre 2023.

Par ailleurs, le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) du Pays d'Aix fait l'objet de vives critiques. L'État a souligné le manque de cohérence de la métropole dans sa politique de logements, notamment sociaux. Jean-David Ciot, maire du Puy-Sainte-Réparade et conseiller métropolitain en charge de l'élaboration du PLUI, a défendu le document en affirmant que ce n'était pas au PLUI, mais au plan local de l'habitat (PLH), de fixer les objectifs de production de logements par commune.

Ces prises de position illustrent un malaise grandissant parmi les élus du Pays d'Aix, qui se sentent dépossédés de leurs compétences et marginalisés dans les prises de décisions métropolitaines.

Bref : Une métropole à deux vitesses, un territoire à l’abandon

La métropole Aix-Marseille-Provence se rêve en locomotive régionale, mais elle avance avec un wagon déconnecté : celui des territoires ruraux. Tandis que les grandes villes captent budgets, infrastructures et attention politique, des dizaines de communes, pourtant membres à part entière de la métropole, semblent reléguées au rang de spectatrices impuissantes.

Pire encore, ce déséquilibre est cautionné par une partie de leurs propres représentants, devenus silencieux dans les arènes métropolitaines. Trop prudents, trop dépendants, ou tout simplement trop absents, ces maires et vice-présidents ne défendent plus leurs territoires : ils les sacrifient sur l’autel de la loyauté politique envers Martine Vassal et son exécutif.

Ce que révèle ce fiasco métropolitain, c’est qu’à force de vouloir faire tenir ensemble l’urbain et le rural sans réelle équité, on fabrique une gouvernance à deux vitesses. Une métropole de façade, où le centre décide et où les marges se taisent.

Mais à force d’être ignorées, les zones rurales pourraient finir par se faire entendre autrement. Et brutalement.

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