Aix-en-Provence, dans une école primaire, la température grimpe à 33°C dès 10 heures du matin. Une enseignante depuis quinze ans, raconte un malaise survenu en pleine dictée.
« Une élève s’est mise à transpirer, elle avait des vertiges. J’ai dû l’allonger au sol et lui passer un gant d’eau fraîche. Nous n’avons aucun ventilateur dans les classes, seulement des rideaux qu’on ferme dès 8 heures. »
Elle affirme avoir signalé la situation à la mairie. En retour, on lui aurait répondu que les budgets étaient déjà alloués pour l’année, et qu’aucun équipement supplémentaire ne serait financé avant la rentrée prochaine.
Même constat à Gardanne, où une directrice d’école parle de « bricolage permanent ».
« On a reçu un seul ventilateur pour tout le bâtiment. On fait des rotations entre les classes. On incite les enfants à boire, à rester calmes. Mais comment demander à des CE2 de ne pas bouger pendant six heures dans une salle à 34°C ? »
La situation diffère pourtant à quelques kilomètres de là. À Marseille, dans les quartiers Nord, Fatima, mère de trois enfants, bénéficie d’un dispositif local plus généreux. « La piscine municipale du 14e est gratuite tout l’été. On y va presque tous les jours. C’est notre seul moyen d’avoir un peu de fraîcheur, sinon l’appartement est un four. »
La municipalité phocéenne a en effet décidé de rendre l’accès gratuit à plusieurs équipements durant les périodes de forte chaleur, et a étendu les horaires d’ouverture des parcs et des bibliothèques climatisées.
Face à l’inaction, enseignants et parents improvisent.
« Pour moi, mère célibataire avec deux enfants, dix euros la journée, c’est trop. Et je ne parle même pas du bus pour y aller », regrette Nathalie, habitante du Jas de Bouffan.
Elle évoque aussi les différences criantes entre les établissements scolaires selon les quartiers : « Les écoles du centre-ville ont été rénovées, isolées. Dans les nôtres, c’est du préfabriqué mal ventilé. »
Même constat à Trets, où la piscine municipale reste payante malgré la canicule.
Une mère de trois enfants, raconte avoir tenté d'interpeller un maître-nageur sur place.
« Je lui ai demandé si la piscine allait être gratuite pendant les grosses chaleurs, comme à Marseille. Il m’a répondu : “Pour la gratuité, allez à Marseille, pas chez nous.” » Une réponse cinglante, symbole d’une fracture territoriale bien réelle.
« C’était le seul endroit où on pouvait se prendre une bouteille d’eau froide ou une canette quand il faisait 35°C.», explique un habitué. Cette absence de service de base renforce le sentiment d’improvisation. « On vient chercher un peu de fraîcheur et on se retrouve à avoir encore plus chaud, sans rien pour se rafraîchir. C’est ubuesque », s’indigne un père de famille.
À Gardanne, un élu d’opposition déplore l’absence de mesures concrètes. « On parle de plan canicule, mais il n’y a aucune salle rafraîchie ouverte aux habitants, aucun point d’eau supplémentaire dans les quartiers, pas de communication. C’est comme si on attendait l’alerte rouge pour bouger. »
À Marseille, une salariée du Centre communal d’action sociale (CCAS) confirme le manque de moyens humains : « On a des listes de personnes isolées à contacter, mais pas assez de personnel pour tout gérer. On priorise, mais certains ne sont jamais appelés. »
Face à l’inaction, enseignants et parents improvisent. À Vitrolles, une institutrice a installé un « coin fraîcheur » dans sa classe :
« J’ai ramené un ventilateur de chez moi, acheté des brumisateurs. Ce n’est pas normal, mais on fait comme on peut. » À Rousset, un parent d’élève a proposé d’acheter à ses frais des stores thermiques. « On veut aider, mais on ne peut pas tout faire à la place de la mairie. »
Les écarts d’un territoire à l’autre interrogent, alors que les vagues de chaleur sont désormais récurrentes.
Les climatologue l’affirme : « Ce n’est plus une exception climatique, c’est la nouvelle norme. Or, ni les bâtiments publics ni les politiques locales ne sont adaptés. »
La mémoire de 2003 !!!
Depuis, les plans existent, les recommandations sont connues, mais les moyens, eux, manquent toujours. Et surtout, la cohérence fait défaut. Une commune ouvre ses piscines gratuitement, sa voisine non. Une école installe des ventilateurs, l’autre demande aux enfants de s’éventer avec des feuilles.
« On a une école publique à deux vitesses, et la canicule le rend encore plus visible », conclut une maman. « Ceux qui habitent les quartiers favorisés s’en sortent. Les autres, eux, subissent. »
Alors que l’été ne fait que commencer, une question reste en suspens : combien de canicules faudra-t-il pour que le droit à la fraîcheur devienne un droit universel — et non un privilège local ?