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Peut-on être de gauche et patriote ?


Rédigé par Ghislain Robert le Mardi 15 Juillet 2025 à 18:30 - 0 Commentaires

La question fait débat depuis plusieurs décennies, mais revient avec force dans une époque où les repères politiques sont brouillés et les mots vidés de leur sens. La gauche peut-elle encore parler de patrie, de nation, de fierté française sans tomber dans les travers du nationalisme ? Le patriotisme est-il devenu un terrain exclusivement occupé par la droite, voire l'extrême droite ?


Le patriotisme, une racine oubliée de la gauche

Dire que la gauche a abandonné le terrain du patriotisme est un constat que de nombreux observateurs partagent. Pourtant, c’est bien dans le camp progressiste que le patriotisme moderne a d’abord puisé ses racines.

En 1888, Jean Jaurès écrivait dans L’Armée nouvelle :

« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe. »


Et plus loin :

« Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup y ramène. »


Une phrase qui résume toute l’ambiguïté et la richesse de la pensée jaurésienne : être de gauche, c’est certes tendre vers l’universel, mais en s’appuyant sur une nation forte, républicaine, porteuse d’un idéal commun.

Ce n’est pas un hasard si, pendant la Résistance, une large partie des réseaux patriotes étaient composés de communistes, de socialistes, d’hommes et de femmes de gauche, pour qui la lutte contre le fascisme passait aussi par la défense de la France.

Quand la gauche perd le drapeau

Mais à partir des années 1980, la gauche s’éloigne de ce langage national. La mondialisation, l’Europe, la chute du bloc soviétique, puis les questions identitaires, brouillent les repères. Le drapeau tricolore devient suspect. Le mot « France » est réservé aux discours institutionnels. Le sentiment national est souvent relégué au camp conservateur et de droite.

Cette perte de contact avec l’idée de nation est pointée par certains intellectuels comme une faute politique.

Le politologue Thomas Branthôme, dans ses travaux sur la gauche républicaine, évoque « un abandon stratégique du vocabulaire de la République » par une partie de la gauche, au profit d’un discours technocratique ou communautaire.


Dès lors, le terrain est laissé libre. L’extrême droite, elle, s’empare du drapeau, du mot « patrie », de la Marseillaise, du Bleu/Blanc/Rouge, non pas pour défendre la République, mais pour exclure, dresser des frontières identitaires, opposer des Français à d’autres.

Une gauche qui tente de reconquérir le terrain

Pourtant, depuis quelques années, un frémissement s’opère. Jean-Luc Mélenchon a parlé de « souveraineté populaire » et réactivé le mot « République » dans ses campagnes. Arnaud Montebourg, quant à lui, revendique un « patriotisme économique » et a théorisé un « protectionnisme intelligent ».

François Ruffin, n’hésite pas à affirmer que : « Aimer la France, ce n’est pas un gros mot. Ce qu’il faut combattre, ce n’est pas le patriotisme, c’est le nationalisme rance. »


Dans le monde syndical, certains responsables comme Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, affichent clairement une posture patriote et sociale.

« La France, ce n’est pas le repli. C’est l’héritage du Conseil national de la Résistance, des congés payés, du modèle social. » dit-il régulièrement lors de ses discours publics.


Ce patriotisme de gauche, parfois appelé « républicain », se veut non excluant. Il repose sur l’idée que la nation n’est pas une ethnie, mais un projet politique. C’est l’héritage de 1789, de 1848, de 1936 ou de 1945. C’est le cadre à l’intérieur duquel on peut défendre les services publics, la justice sociale, l’égalité des territoires.

Patriotisme de gauche : un outil contre le repli identitaire ?

Peut-on dès lors réconcilier gauche et patriotisme ? Pour certains, c’est non seulement possible, mais vital. Dans un essai publié en 2023, le philosophe Gaspard Koenig écrivait :

« La gauche a laissé à l’extrême droite le monopole de l’amour de la France. Elle doit reprendre cette parole, non pas pour imiter, mais pour la réenchanter. »


Mais la tâche est complexe. Dans un climat où l’extrême droite progresse électoralement et idéologiquement, toute référence à la nation peut être soupçonnée d’ambiguïté.

Le défi pour la gauche consiste donc à reconstruire un récit national inclusif, progressiste, mobilisateur. Un récit capable de parler à la jeunesse, aux quartiers, aux zones rurales, à tous ceux qui, aujourd’hui, se sentent délaissés.

Une République sociale à réinventer

Finalement, être de gauche et patriote, c’est peut-être revenir à cette idée simple : on ne peut pas défendre l’universel sans être ancré quelque part. On ne peut pas combattre les injustices sans aimer le cadre dans lequel on les combat. Et ce cadre, pour les progressistes français, c’est la République.
Comme le résumait Albert Camus : « Je me révolte, donc nous sommes. »

Et ce "nous", dans la tradition française, ne peut se penser sans nation, sans peuple, sans République.

Le patriotisme à gauche : un tabou français ?

Dans de nombreux pays, la gauche n’a jamais renoncé à parler de patrie, ni à brandir le drapeau national. Contrairement au cas français, où cette rhétorique reste suspecte, ailleurs elle fait partie intégrante de l'identité progressiste.

🇬🇧 Royaume-Uni
Le Parti travailliste n’a jamais eu de complexe à conjuguer fierté nationale et politique sociale. Tony Blair, dans les années 1990, assumait un "patriotisme civique", fondé sur la fierté du système de santé public (NHS) ou des valeurs britanniques d’égalité. Aujourd’hui, Keir Starmer (Labour) remet au cœur de son discours l’idée de "rebuild Britain", sans crainte de paraître nationaliste.

🇺🇸 États-Unis
La gauche américaine, notamment incarnée par Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez, parle ouvertement d’un "patriotisme progressiste". Défendre les droits des travailleurs, améliorer le système de santé, taxer les milliardaires… tout cela est présenté comme "aimer son pays et vouloir le rendre meilleur". Même dans un contexte de polarisation extrême, l’attachement aux symboles nationaux reste revendiqué.

🇩🇪 Allemagne
Le SPD (Parti social-démocrate) met régulièrement en avant l’idée de "patriotisme constitutionnel", concept forgé après-guerre. Il s'agit de se reconnaître non dans une ethnie, mais dans les valeurs démocratiques fondamentales (droits humains, égalité, État de droit). Olaf Scholz, chancelier SPD, parle d’une "fierté allemande sobre et lucide".

🇪🇸 Espagne
À gauche, des partis comme le PSOE ou même Podemos ont longtemps été frileux vis-à-vis du mot "patrie", du fait de l’héritage franquiste. Mais les choses évoluent : on parle aujourd’hui de "patriotisme social" pour défendre l’unité territoriale, les services publics ou la souveraineté énergétique. Le terme reste toutefois clivant dans les régions autonomes.
 
En France, le mot "patriotisme" reste prisonnier d’un clivage historique entre républicanisme et nationalisme. Ailleurs, la gauche a su se réapproprier la nation comme un espace de justice sociale et de projet collectif. Une voie à méditer.

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